Art contemporain
My name is Luka : une exposition au nom de l’enfance
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Une évidence
Au départ les Sheds avaient lancé à Julie Crenn un défi : travailler autour du dégoût. Or, pour la commissaire d’exposition et critique d’art, dont les thèmes de prédilection abordent les questions féministes, queers et décoloniales, les réalités les plus nauséabondes résident dans « les violences physiques, verbales ou sexuelles subies par les enfants ». Malgré son côté délicat, voire épineux, forcément peu vendeur, elle décide de s’emparer du sujet à bras le corps, à rebours de ce que l’imaginaire collectif projette sur les premières années de vie, monde présumé merveilleux, tressé « d’innocence, de naïveté, de tendresse, de joie, de monstres gentils...
Ce sont là les ingrédients d’une enfance heureuse et préservée de toutes formes de maltraitance que peu d’entre nous, au final, ont vécue ». Pour Julie Crenn, le constat s’impose donc. Clair, implaccable : « Il n’existe pas d’enfances épargnées. »
Montrer l’indicible
Il y a d’abord, rappelle-t-elle en préambule, l’étymologie du mot « enfant », « in-fans », « celui qui ne parle pas, qui se tait ou que l’on fait taire ». Et c’est bien les silences « qui traversent nos corps et la société », le poids des secrets, celui des traumatismes, les indélébiles cicatrices, qu’elle décide ici d’explorer. « Dans cette exposition, explique-t-elle, des œuvres plastiques mettent en écriture l’indicible, ce qu’il est impossible d’imaginer, de concevoir. Cela passe par des images, des formes, des matières et des couleurs, comme autant de traductions d’artistes concernés dans leur chair et leur âme par ces maltraitances. »
Ainsi, huit créateurs – Camille Sart, Anne Brégeaut, Edi Dubien, Pascal Lièvre, PÖ, Anne Rochette, Laura Bottereau et Marine Fiquet – donnent corps et forme à leurs douleurs. Ils parlent, dans leurs textes de présentation, de « compagnonnage du silence » (Anne Rochette), de « cauchemars étranges, nuit après nuit, année après année, de souvenirs enfouis » (Pascal Lièvre), de la « difficulté à exister face à la démolition subie dans l’enfance » (Edi Dubien)... Toutes et tous exorcisent, d’une certaine manière, ces traumatismes à travers leurs créations, avec une grande pudeur. Et c’est bouleversant.
Mais il y a aussi, dans leurs œuvres, le chemin vers la vie, cette existence enfin permise, comme l’exprime PÖ : « Ma sculpture a créé un instant de trêve avec ma colère. Elle m’a fait le même effet que pendant ces moments rares et précieux où j’arrive à pleurer. »
Dénouer les voix
L’exposition s’intitule My name is Luka, du nom d’une chanson de Suzanne Vega, sortie en 1987. « J’écoutais cette chanson en boucle, chaque jour, depuis l’enfance sans savoir pourquoi, avoue Julie Crenn. Jusqu’au jour où je me suis penchée sur ses paroles. Elles racontaient l’existence d’un petit garçon battu par ses parents et résonnaient avec mon histoire… »
Aux Sheds, un mur vierge, où est inscrit « My name is Luka », sera complété par « Je m’appelle Julie », « Je m’appelle Edi » et par tous les « Je m’appelle… » de ceux qui se sentent suffisamment concernés pour vouloir inscrire leur nom. « Il y a eu #MeToo, libération de la parole des femmes. Mais nous n’avons pas connu de phénomène similaire pour les enfants, remarque la commissaire. L’exposition s’adresse à eux, mais aussi à tous les adultes qui ont eu une enfance de m…. et qui n’auront pas besoin de cartels pour comprendre ce qui se joue. Parfois, il se révèle difficile de se reconstruire seul. J’espère que cet accrochage permettra de libérer les corps, de dénouer les voix. »
Informations pratiques :
- Du 6 octobre au 25 novembre aux Sheds, 45, rue Gabrielle-Josserand
- Du mercredi au samedi de 14.00 à 18.00
- Entrée libre.
- Des visites guidées, des ateliers animés par les artistes et une table ronde seront organisés pendant l’exposition
- En savoir plus sur le site internet de la ville