Culture
L'Afrique sur courant électro
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L’affiche pantinoise de la trentième édition du festival Africolor se gorge d’afrobeat, de rap, d’électro et de bien d’autres influences africano-européennes. Vendredi 29 novembre, les deux concerts de la soirée s’annoncent bouillonnants et mettent à l’honneur les pulsations futuristes d’une scène musicale en pleine effervescence.
Article de Alain dalouche, publié dans l'agenda de Canal n°283, novembre 2019.
La musique et les mots de Baloji ambiancent le premier set de cette soirée. Le rappeur « Kongaulois », comme l’exprime le titre de l’une de ses chansons, conjugue avec justesse hip-hop et musiques africaines. L’auteur-compositeur place sa double identité au cœur de ses créations. Né en République démocratique du Congo (RDC) et élevé en Belgique, celui dont le nom pourrait se traduire par « homme de sciences occultes et de sorcellerie » se révèle un poète inspiré et un narrateur accompli. « J’ai réalisé cet album après avoir écrit mon premier scénario de long métrage avec un coscénariste qui m’a appris à structurer mes pensées, mes idées, à avoir une narration cohérente », confiait-il à TV5 Monde à la parution de son dernier album, le troisième, en mars 2018.
« Une musique trop noire pour les Blancs, trop blanche pour les Noirs »
Le nom de cet opus, 137 avenue Kaniama, reprend l’adresse de sa mère à Lubumbashi, en RDC, une mère retrouvée plus de vingt-cinq ans après l’avoir quittée. Sur sa musique « trop noire pour les Blancs, trop blanche pour les Noirs », le Belgo-Congolais fait claquer les mots. « Je ne suis pas issu de la diversité mais de l’hôpital public/ Pluralité minorée/ Je descends d’un arbre généalogique », scande-t-il dans Tropisme - Start-up. Poétiques, chaotiques, ses textes font mouche dans l’Hiver indien (Quand-quand-quand-quand tombe le mercure/ Le ciel pique du nez/ Les éclaircies sont des fissures/ Dans un plafond goudron), tout comme sa révolte dans Bipolaire, un morceau critique sur la politique post-colonialiste du groupe Bolloré (appelé papa Bolloré dans la chanson). Chez Baloji, hip-hop, funk et rumba congolaise fusionnent dans une cohérence musicale gorgée d’afrobeat et de rap.
Vous prendrez bien un peu de Poko Poko ?
La suite de la soirée sera dansée et tout aussi fusionnelle, avec le duo panafricain Poko Poko, « un projet de musique électronique né de la collaboration entre le producteur congolais et cofondateur du label Hakuna Kulala, Rey Sapienz, et la chanteuse franco-ghanéene Pö », dixit le festival. La musique de ce duo explosif ? Queer et festive, alimentée par le style congo-techno porté par le producteur et DJ Rey Sapienz, qui a fait de ce style habité de tempos surprenants, d’atmosphères obscures et d’ambiances vocales psychédéliques sa marque de fabrique. Les paroles ? Des textes engagés et délirants côtoient des mots simples et humoristiques, chantées par Pö en français, en anglais, en swahili (langue bantoue de l’Afrique de l’Est) ou en lingala (langue bantoue parlée en République démocratique du Congo et en République du Congo).
Protéiforme, la voix de l’artiste mêle chant, rap et spoken word. À la fois chanteuse, DJ, productrice et artiste visuelle, Pö se nourrit d’influences européennes et africaines, multipliant les expériences transfrontalières. En plein dans la tendance de cette musique africaine plurielle, ouverte sur les autres cultures, qui fête les trente ans d’un festival prônant depuis toujours la mixité des genres et des gens.
Vendredi 29 novembre à 20.30
Baloji + Poko Poko
18 € (plein tarif), 12 € (tarif réduit), 5 € (moins de 12 ans), 3 € (minima sociaux).
Salle Jacques-Brel
42, avenue Édouard-Vaillant
Tel : 01 49 15 41 70
Le festival en chiffres :
> 27 concerts, 6 masterclass,
3 projections, 2 tables rondes
> Plus de 120 musiciens, chanteurs, danseurs et comédiens
> 20 villes d’accueil sur 5 départements
> 6 semaines de festival
Saga Africa
Le lancement d’Africolor, le soir de Noël 1989 au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, a donné le ton d’un festival qui fête (déjà !) son trentenaire.
Ce 24 décembre 1989, l’artiste Nahawa Doumbia ouvre le bal. Pour l’occasion, pas moins de 500 Maliens se pressent aux portes du centre dramatique national de Saint-Denis, un lieu inhabituel pour ce public. Depuis, Africolor n’a cessé de grandir. « Mon travail a aussi été de montrer au public parisien qu’il se passait quelque chose en banlieue. Je voulais que ce public vienne à la rencontre des musiques africaines. C’est sur cette idée qu’est né Africolor », explique Philippe Conrath, son fondateur.
« L’idée a toujours été de travailler sur le mélange des publics »
À partir des années 2000, le festival devient départemental et son itinérance une marque de fabrique. Sébastien Lagrave, son directeur, souligne quant à lui le tournant artistique emprunté : « D’un point de vue esthétique et artistique, c’est à partir des années 2000 qu’on commence à accueillir des créations, qu’on diversifie l’origine des musiciens du continent et les esthétiques programmées avec l’accueil du hip-hop, de l’électro, du jazz et de la création contemporaine. »
Si les créations se multiplient, tout comme les échanges culturels et musicaux d’ailleurs, côté politique, le festival se range avec les sans-papiers dès 1996, lors de l’encerclement de l’église Saint-Bernard à Paris. Les prises de position se poursuivent, comme en 2016 avec l’invitation faite aux grandes voix artistiques et politiques du Continent noir lors du sommet sur les vigilances citoyennes africaines. « L’idée a toujours été de travailler sur le mélange des publics. Un mélange social entre ceux qui ont les moyens de payer une place plein tarif et ceux qui ne l’ont pas ; un mélange géographique entre ceux qui habitent dans les quartiers excentrés et ceux qui habitent les zones pavillonnaires », conclut Sébastien Lagrave en cette année anniversaire.
Du 15 novembre au 24 décembre.
Programmation complète sur le site de l'association Africolor.