Citoyenneté
Pantinois voyageurs, à la fois d’ici et d’ailleurs
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Inde, Afrique du Sud, Thaïlande… Les Pantinois sont de plus en plus nombreux à s’installer à l’étranger. Un, deux ou trois ans pour changer de vie. Mais pas question pour eux de faire leurs adieux à une ville à laquelle ils restent très attachés. S’ils partent, c’est souvent pour mieux revenir, désireux de s’investir dans la vie locale, riches de leurs expériences internationales. Radioscopie d’un phénomène de société.
Dossier réalisé par Hana Lévy, publié dans Canal n°281, septembre 2019.
Ils sont de plus en plus nombreux ces nouveaux nomades pantinois à partir vivre quelques années à l’étranger. Des expatriés envoyés par leur entreprise tous frais payés ? Non, plutôt des familles qui décident de sauter le pas, en totale autonomie, pour voir ailleurs si l’herbe est plus verte et vivre une expérience hors du commun. Mais gare à la confusion ! Ces Pantinois de longue date ne partent pas pour fuir une vie terne mais pour s’oxygéner et élargir leur horizon. Cette parenthèse enchantée n’implique donc pas de « solder » leur vie d’ici : ils gardent maison, amis et parfois même leur travail. Au retour, la réadaptation est ainsi moins difficile…
À moitié anglaise, Kate a choisi l’Afrique du Sud pour que ses enfants vivent dans un pays anglophone et se familiarisent avec la langue de Shakespeare. Quant à Delphine et Didier, ils avaient Auroville en ligne de mire après avoir rendu visite à un oncle ayant élu domicile dans cette ville indienne expérimentale où l’on vit en communauté.
Souvent, ces nomades d’un nouveau genre sont des créatifs indépendants. En clair : leurs métiers s’exportent car ils peuvent travailler n’importe où grâce à une bonne connexion internet. Mais pas uniquement. Pour partir à Auroville, Delphine, professeure d’anglais, a déposé une demande de mi-temps annualisé auprès de l’Éducation nationale. Six mois en poste à plein temps et six mois pour voyager, rémunérée à mi-temps sur l’année. Patricia, elle, a pris un congé sabbatique auprès de son entreprise. Autre caractéristique : ces voyageurs sont pour la plupart propriétaires d’un bien qu’ils louent ce qui leur assure un revenu à l’autre bout du monde.
Un nouveau départ
« Partir au long cours donne de l’assurance, beaucoup de liberté. Après, on se met moins de barrières, ça ouvre le champ des possibles », explique Clara qui a tenté l’aventure en Thaïlande. À la fois ouverture aux autres et retour sur soi, partir permet en effet de prendre un nouveau départ, de se réinventer et de ne pas être figé dans une identité. « Paradoxalement, on va à l’autre bout du monde mais c’est un voyage intérieur, un parcours existentiel pour déplacer ses certitudes », confirme le sociologue Stéphane Hugon, chercheur au Centre d’étude sur l’actuel et le quotidien à La Sorbonne et cofondateur de l’institut d’études prospectives Eranos.
Côté tribu, c’est l’occasion de souder la famille en prenant le temps de vivre. « C’est une aventure familiale hors du commun qui nous oblige à nous dépasser », commente Didier. Leur première motivation ? Offrir à leurs enfants une ouverture sur les autres et le monde afin de leur donner à voir une autre réalité. De quoi acquérir dès le plus jeune âge une liberté et une faculté d’adaptation indispensables pour affronter le monde globalisé qui les attend.
Changer de vie, pas de ville !
Le retour à Pantin est un tout autre voyage : on ne rentre jamais indemne d’une vie à l’étranger. Pour certains, après avoir été tant soudés, les couples se séparent. D’autres ont le sentiment de n’être plus tout à fait à leur place. « On retrouve tout comme avant alors que nous avons changé en profondeur », confirme Delphine.
Cependant, riches d’un nouveau regard sur la vie locale, ils s’investissent dans la ville, à laquelle ils restent très attachés, avec une nouvelle éthique de vie, plus engagée, comme Delphine : « J’ai organisé, après l’école, des activités créatives et dans la nature. Nous avons également cessé d’acheter pour rester dans la décroissance. » Aujourd’hui, elle a un seul credo : repartir avec ses enfants qui « ont ça dans le sang ! ». Et, à l’écouter, ce n’est pas si compliqué !
AVANT DE PARTIR
Une expatriation se prépare en général un an à l’avance
- Priorité à la santé, avec un bilan médical complet pour la famille et des vaccins à prévoir selon les destinations. Indispensable, une assurance santé qui couvrira les frais médicaux à l’étranger.
- Vérifier la validité de ses passeports (10 ans pour les adultes, 5 ans pour les mineurs) et obtenir un visa. Pour certains pays, cette démarche peut s’avérer très longue.
- Louer sa maison meublée, soit via le site De particulier à particulier, soit par une agence, permet d’établir un bail d’un an renouvelable.
Attention ! S’il est également possible de louer son bien 120 jours maximum par an, via la plateforme Airbnb, à partir du 1er janvier 2020, il sera nécessaire de s’acquitter d’une taxe de séjour fixée, par la ville de Pantin, à 5 % du prix de la nuitée, avec un plafond à 2,30 Û par jour et par personne. Une mesure, adoptée lors du conseil municipal du 8 juillet, qui vise à endiguer le phénomène des locations de courte durée freinant l’accès au logement des Pantinois. - Courrier du voyageur gère votre courrier en le réexpédiant ou en l’envoyant scanné au fur et à mesure. Information sur le site internet de Courrier du voyageur.
- Indispensable, téléchargez le guide de l’expatriation sur le site internet de France Diplomatie.
Ils ont tenté l’aventure
Réaliser un rêve
Patricia, Jean-Louis, Lucien, Ève et Castille ont passé un an en bateau, de juillet 2012 à juillet 2013.
Faire un long voyage en catamaran, tel était le rêve de Patricia et de Jean-Louis. À l’époque, Lucien a 10 ans, Ève 8 ans et Castille 1 an. Direction les Caraïbes et un chapelet de 18 pays visités au long cours. Cette famille de baroudeurs veut en découdre avec le monde mais « pas pour fuir une réalité morose… Nous adorions notre vie pantinoise », précise Patricia. Le rêve est rendu possible dès le crédit de leur maison soldé. Jean-Louis, artisan dans le bâtiment, met sa boîte entre parenthèses tandis que Patricia, cadre chez Saint-Gobain, prend une année sabbatique. Un an de préparatifs est nécessaire. « On a même fait un stage de survie en mer, indispensable, à notre avis, lorsqu’on a des enfants. » À la clé du voyage, un blog où la famille relate les surprises, dont l’aventure regorge, mais aussi ses galères « Pas toujours facile de vivre les uns sur les autres 7 jours sur 7. C’est un bon test pour le couple ! »
À bord, ce sont Patricia et Jean-Louis qui font l’école à leurs enfants. « Ça n’a pas toujours été une partie de plaisir ! Il y a mille raisons pour ne pas se mettre au travail : un banc de dauphins ou la plage qui appelle, précise la maman. Mais un voyage avec des enfants, et même un bébé, est possible. C’est même un vrai sésame ! »
Depuis leur retour à Pantin, Patricia a changé de métier et travaille désormais avec son mari dans une entreprise qu’ils ont créée « pour être indépendants et pouvoir repartir ». Leur rêve aujourd’hui ? Posséder un bateau amarré dans le futur port de plaisance de la ville d’où la famille pourrait préparer son prochain voyage. « Ça aurait du sens », conclut Patricia.
Retrouvez les sur leur blog ballade caribéenne.
Vie cosmopolite
Kate, Louis-Jean, Max, Alistair et Zoé ont vécu deux ans à Cape Town en Afrique du Sud, d’août 2017 à juin 2019.
" Cela faisait 15 ans que nous habitions Pantin, il nous fallait un changement, explique Kate. Je suis amoureuse de l’Afrique où j’ai réalisé de nombreux documentaires. Nous voulions vivre au bord de la mer et Cape Town est l’une des plus belles villes au monde. C’est le San Francisco de l’Afrique ! »
Max, son aîné a alors 16 ans et suit sa scolarité au lycée français où il obtiendra son baccalauréat. Alistair, 13 ans, et Zoé, 9 ans, sont, quant à eux, élèves dans une école internationale. « Ils y ont appris le xhosa, la langue de Nelson Mandela », précise fièrement Louis-Jean.
Là-bas, Kate réalise des documentaires en coproduction avec la France et Louis-Jean achève la création graphique d’un long-métrage. « Safaris dans les parcs nationaux, rencontre avec les bush men… ça a été une formidable ouverture pour nous tous ! Nous nous sommes également fait des amis du monde entier à l’image de ce peuple arc-en-ciel. »
La famille vient tout juste de rentrer à Pantin avec un œil neuf. « Ça nous a donné une belle énergie et une grande liberté », confie le couple. Si Max a pour le moment assouvi sa soif d’ailleurs, les cadets veulent déjà repartir. Quant aux parents, ils comptent s’investir davantage dans la vie associative, Kate en faisant du bénévolat et Louis-Jean en pilotant des animations artistiques dans les quartiers. Ce qui a changé ? Se considérer comme habitant de la planète plutôt que d’un pays, prendre plus le temps et s’engager pour l’écologie. « Il y avait des coupures d’électricité et des pénuries d’eau à Cape Town. Ça nous a fait réfléchir sur l’épuisement des ressources et nous a donné envie de nous engager pour la préservation de notre planète. »
Retour aux sources
Clara, Sam, Ilhia et Toan se sont installés 3 ans à Chiang Mai, en Thaïlande, de juillet 2015 à juillet 2018.
Mon mari est d’origine laotienne et vietnamienne. Nous voulions faire découvrir aux enfants sa culture d’origine, leur donner une autre vision du monde. » Ce sera la Thaïlande où Sam trouve du travail en un clic, sa spécialité d’informaticien lui ouvrant les portes du monde. Clara, qui travaille dans le secteur culturel, met sa vie professionnelle entre parenthèses. « Je suis partie avec l’envie de me fondre dans cette nouvelle culture et de profiter de mes enfants. » À Chang Mai, point d’école française. « À l’époque, Ilhia avait 7 ans et Toan 5 ans. Nous leur avons fait l’école à la maison. Ensuite, nous les avons inscrits dans une école internationale cernée de rizières. Ils y ont appris à planter du riz, à parler thaï, à cultiver le bien-être et à méditer autour de préceptes bouddhistes. » L’enseignement se fait en anglais. Les enfants sont donc sortis bilingues de cette expérience. Et Clara d’égrener les autres vertus de leur vie thaïe : « Expérimenter la douceur de vivre, grandir sans peur, dans la nature, dans un environnement multiculturel. »
À Pantin, la réadaptation est plus facile que prévu. « Nous avons retrouvé nos amis qui nous manquaient tant. À Chiang Mai, les amitiés sont superficielles », précise Clara avant d’ajouter : « Et puis, c’était comme vivre hors sol… L’engagement associatif de Pantin nous manquait. »
Lorsqu’il arrive à l’école Joséphine-Baker, Toan ne sait pas écrire le français mais rattrape vite son retard. Ilhia entre en section internationale à Paris. Clara a retrouvé avec plaisir un travail dans le milieu théâtral. Elle, qui pensait que ce changement de vie irait de pair avec une reconversion professionnelle, est la première surprise. « Parfois, il faut partir pour réaliser la chance que l’on a. »
Apprendre à voyager autrement
À Pantin, le dispositif Vacances engagées permet aux jeunes de 11 à 25 ans de voyager autrement en leur ouvrant des horizons inédits. Encadrés par les antennes jeunesse de la ville et les animateurs du Lab’, un an durant, ils préparent de A à Z un voyage solidaire qu’ils effectuent l’année suivante. Voyage humanitaire en Côte d’Ivoire ou à Marrakech, séjour avec des migrants dans la jungle de Calais, voyage interculturel au Brésil… Ce dispositif labelisé de la ville, placé sous le signe de la solidarité et de l’ouverture à l’autre, forge ainsi toute une génération de voyageurs responsables.
Renseignements auprès des antennes jeunesse et du Lab’.
Les voyages forment la jeunesse
César est parti vivre six mois à Auroville, en Inde, avec ses parents. Il a quitté la classe de Luciana Zarotti, son institutrice de l’école Henri-Wallon, en fin de CP et l’a retrouvée, en février, en CE1. Ils témoignent.
Luciana Zarotti
« Chaque jour, lorsque je faisais l’appel, j’appelais César pour qu’il reste avec nous et je déposais ses devoirs sur sa table. Il postait des photos sur internet, ses camarades lui envoyaient des dessins. À son retour, toute la classe l’attendait à la grille ! Si les premières semaines, il a eu quelques difficultés à écrire en cursive et à reprendre le rythme, il s’est très vite réadapté et avait plus confiance en lui. Il est rentré en parlant très bien anglais, un peu tamoul et italien. Côté cursus scolaire, même si les programmes étaient très différents, César n’était pas en retard. Il avait, par exemple, appris la soustraction avec la même méthode que nous. Ça a été une aventure partagée que nous avons vécue par procuration et une occasion de parler de l’Inde en classe. »
César
« Ce qui a été le plus difficile pour moi en rentrant, c’était de rester assis toute la journée, d’avoir des devoirs et d’être obligé de garder mes chaussures. Mais j’étais content de revoir mes camarades qui m’ont fait la fête ! Ce qui les a plus étonnés ? Que dans mon école là-bas, on voyait des serpents, qu’on n’avait ni devoirs ni cartables (on laissait tout sur place), que j’y ai appris à parler le tamoul, à faire du jardinage et un peu à cuisiner, que l’école était dans la forêt, qu’elle s’arrêtait à 14 heures et que l’après-midi, on allait à la plage. »
Et les écoles ?
Parents voyageurs vous avez de la chance. Le réseau des Lycées français à l’étranger est un système unique au monde comprenant 488 établissements accueillant 320 000 élèves dans 130 pays. Le cursus scolaire et les diplômes y sont identiques à ceux de l’Hexagone mais les frais de scolarité sont généralement élevés. Pour autant, si l’instruction est obligatoire, l’école, elle, ne l’est pas…
Le Centre national d’enseignement à distance (CNED) a ainsi été mis en place par l’Éducation nationale pour permettre aux enfants nomades de suivre une scolarité normale et intégrer, à leur retour, la classe supérieure. Seul prérequis : avoir une bonne connexion internet pour suivre les cours en ligne. Une fois le dossier accepté par le rectorat, la scolarité est gratuite.
Enfin, on peut choisir d’inscrire ses enfants dans une école locale ou internationale mais l’année ne sera pas validée par le système éducatif français.
Site internet du CNED.
Site internet de L'agence pour l'enseignement français à l'étranger.
Toan et Ilhia ont été scolarisés 2 ans dans la Panyaden International School à Chiang Mai, en Thaïlande. Dans cette école entourée de rizières, ils ont appris à planter du riz, à parler couramment thaï et anglais et à méditer autour des préceptes du bouddhisme.
Alistair et Zoé portant l’uniforme dans leur école de Camp Bay au Cap, en Afrique du Sud. Les cours s’arrêtent à 14.00, ce qui laisse tout l’après-midi pour faire du surf ou observer les animaux marins.
Suivre un cursus scolaire normal, tout en étant itinérant, c’est possible avec le CNED. Tout au long de leur année en bateau, Patricia et Jean-Louis ont fait cours à Lucien et Ève par ce biais.
Pantin en mode touriste
À l’inverse des Pantinois qui partent vivre à l’autre bout du monde, de nombreux touristes étrangers foulent le sol de la ville. La preuve avec le greeter Guillaume Auffret, citoyen passionné qui fait découvrir bénévolement Pantin.
Sagement installée sur les marches de l’église Saint-Germain, Ellen, une Australienne de 25 ans, écoute son greeter. Un plan dans une main et un livre sur le vieux Pantin dans l’autre, Guillaume commence par un rapide historique de la ville, tout en anglais. Et c’est parti pour une visite pédestre menée tambour battant par cet ingénieur dans les transports, passionné d’histoire et de rencontres. Au programme : l’architecture Art nouveau rue de la Paix, les fresques street art du canal, les Grands Moulins et La Villette. La visite ressemble davantage à une conversation à bâtons rompus entre amis qu’à une visite touristique formatée. Tout y passe : modes de vie, politique, éducation ou habitudes alimentaires. C’est que les greeters – hôtes en français – ne sont pas des guides touristiques mais des citoyens amoureux de leur ville, soucieux de la faire découvrir autrement et de tordre le cou aux clichés qui collent à la banlieue.
Pour Ellen, cette visite est une opportunité originale de découvrir Pantin à travers le regard singulier d’un de ses habitants : « J’ai découvert les greeters sur un forum de voyageurs et j’ai eu envie de commencer mon voyage en France par Pantin car je suis passionnée d’architecture industrielle et j’aime les visites qui sortent des sentiers battus. Cette forme de tourisme plus humaine, désintéressée et basée sur la rencontre correspond à ma manière de voyager. »
Tourisme nouvelle version
« Venez en visiteur, partez en ami », tel est le slogan du mouvement né à New York en 1992 et présent dans 38 pays. Le concept a fait mouche à Paris et dans la petite couronne, devenues la plus grosse communauté de greeters au monde. Fondé sur des principes de convivialité, de gratuité et de partage, le principe a le vent en poupe tant il colle aux nouvelles aspirations touristiques, plus vertes et participatives.
À l’opposé du tourisme commercial, différentes des visites patrimoniales, ces flâneries de deux à trois heures s’adaptent aux désirs du visiteur qui remplit au préalable un formulaire détaillant ses attentes. Du sur-mesure que Guillaume fignole à chaque visite. « J’adore partager mes coups de cœur pantinois et raconter mon quotidien. La gratuité change l’esprit de la visite : il y a plus de partage… J’accueille les visiteurs comme j’accueillerais des amis. De plus, je rencontre des touristes du monde entier… c’est comme si le monde venait à moi ! »
Inscription sur les sites internet de Greeters ou Seine-Saint-Denis Tourisme.
Devenir greeter : mode d’emploi
Amoureux de Pantin et fier de vivre en Seine-Saint-Denis ? Et si vous deveniez greeter ? Nul besoin d’avoir un diplôme de tourisme en poche, il faut simplement bien connaître sa ville et aimer les rencontres. Ensuite, il vous suffit de remplir le formulaire de la rubrique Devenir bénévole du site internet greeters.paris, de renseigner vos motivations et les langues parlées. Une réunion d’accueil est ensuite organisée. Avant d’être intégré au réseau, une balade test est possible mais pas obligatoire.