Récits de ville
Sur les pas de leurs aïeux déportés
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L’émotion les a subitement saisis quand ils ont foulé les pavés du quai aux Bestiaux. Colin Johnston essuie des larmes et dit, sanglotant : « C’est là que le cauchemar a commencé pour mon père. » Ce dernier était aviateur au sein de l’armée australienne durant la Seconde Guerre mondiale.
Le 23 juin 1944, quelques jours après le débarquement de Normandie, son avion s’écrase dans la Somme. Le soldat est d’abord recueilli par des fermiers de l’Oise, avant d’être trahi par un Français et livré aux nazis. Avec son compagnon d’infortune, James Gwilliam, également australien, ils sont faits prisonniers à Fresnes et sont déportés vers Buchenwald le 15 août 1944.
Erin Sharp, la belle-fille de James Gwilliam, qui a, elle aussi, fait spécialement le voyage depuis l’Australie, confie : « C’est éprouvant de venir ici. La guerre a en partie détruit la vie de mon beau-père, décédé en 2002. Se confronter à ce lieu est difficile car on imagine ce qu’il a vécu… »
Le dernier convoi
Le 15 août 1944, plus de 2 200 personnes s’entassent dans des wagons au sein de la gare de marchandises pantinoise. Les nazis, en train de perdre la guerre, ont en effet vidé les prisons de la région parisienne afin d’acheminer les résistants politiques et soldats capturés vers les camps de la mort. Dans ce convoi, qui mettra cinq jours pour arriver, figurent 169 aviateurs alliés. Des Australiens, des Américains, des Canadiens, des Britanniques, des Néo-Zélandais et un Jamaïcain. À l’exception de l’un d’entre eux qui parvient à s’échapper, tous sont déportés à Buchenwald, au mépris des conventions internationales sur les prisonniers de guerre. Ils seront finalement transférés vers des camps de prisonniers, puis libérés par l’Armée rouge.
Cette histoire, ni Eric Johnston ni James Gwilliam ne l’ont racontée à leur famille. « Il ne parlait jamais de cet épisode de sa vie et je n’osais pas lui poser de questions », précise Colin Johnston. En venant à Pantin, il met un point final à son travail de recherche entrepris après le décès de son père en 2013. « J’ai retracé toutes les étapes de son parcours entre juin 44 et janvier 45. Cela m’a amené à visiter la prison de Fresnes, le camp de Buchenwald et à suivre l’itinéraire des marches de la mort en Allemagne. »
Un travail de mémoire
Grâce à l’Association des sauveteurs d’aviateurs alliés (ASAA), le septuagénaire a même pu rencontrer des descendants des familles de l’Oise qui ont caché son père. « C’est très important pour moi de comprendre ce qu’il a traversé. » Erin Sharp ajoute : « Accomplir ce travail mémoriel est essentiel à mes yeux. Le drame vécu par ces 169 aviateurs doit être connu par les jeunes générations. L’État australien n’a toujours pas reconnu le fait que certains de ses soldats ont été déportés! » Cette femme de 62 ans espère aussi que la tragédie qui s’est jouée lors de la Seconde Guerre mondiale ne se reproduira plus jamais. « C’est une maman inquiète qui vous dit cela. Mon fils fait partie de l’armée australienne et je me mets à la place des mères de ces aviateurs qui n’ont pas eu de nouvelles de leur fils durant plusieurs mois. »